Réflexions

Horlogerie : Quel avenir pour nos montres ?

Suite à une discussion récente, j’ai eu l’idée de vous proposer à travers ce billet la réflexion suivante qui est au cœur des interrogations stratégiques des plus grandes maisons horlogères (je l’espère en tous cas pour elles) : Comment rendre désirable un objet, au hasard une montre, qui semble pour beaucoup inutile aujourd’hui ?

Comment voir l'avenir de l'horlogerie ?

Tout d’abord, force est de constater la démarche qu’ont de nombreuses marques d’adresser une communication « jeune » – puisqu’aujourd’hui on renie l’œuvre du temps et quand on devient vieux on cherche à être un vieux jeune, au final ça rend service à tout le monde permettant l’uniformisation des communications commerciales –, cherchant dans la créativité ou dans des concepts qui me paraissent flous (NFT, etc.) des solutions : car les jeunes d’aujourd’hui sont les clients de demain. Cet aphorisme est applicable à presque tous les secteurs d’activité, reflet d’une angoisse perpétuelle de préparer l’avenir. Mais qu’en est-il vraiment ? Si l’on posait ouvertement la question de l’utilité d’une montre ou les raisons pour lesquelles en porter une, qu’obtiendrait-on comme réponses ?

D’aucuns me répondraient qu’une montre est inutile car sa fonction est de donner l’heure, et que dans le monde ultra connecté dans lequel nous vivons, nous avons l’heure absolument partout (et principalement sur l’objet le plus aliénant de l’histoire de l’humanité dont nous sommes tous pourvu : notre téléphone portable). Qu’en plus rien n’est plus précis qu’un écran digital radio piloté.

D’autres me diraient que l’horlogerie, c’est de l’artisanat et que dans tout artisanat il y a une notion de patrimoine immatériel lié aux nombreux savoir-faire  transmis d’horloger à horloger depuis la nuit des temps (ou depuis que l’on a commencé à mesurer le temps), et que son intérêt va au-delà de sa fonction. Un intérêt substantiel. Posséder de l’horlogerie, c’est participer au Grand Œuvre, à l’éternité de la discipline. Magnifique preuve d’abnégation.

On continuerait probablement la discussion en me disant que la montre est un accessoire, voire un des seuls bijoux de l’homme, sorte de parure que l’on glisse discrètement sous la manche de sa chemise pour signifier que l’on est une personne distinguée, ou que l’on porte de façon décontractée en tenue du week-end à manches courtes pour signifier que l’on est détaché de toutes considérations populistes parce qu’après tout, on achète une montre pour la porter. Et puis habiller son poignet c’est plutôt cool.

Les nombreux traders en herbe ne pourraient s’abstraire de la notion d’investissement « parce que vous comprenez, on achète une montre pour investir vous voyez, avoir une montre qui ne perd pas de valeur c’est quand même important, et quand elle en prend c’est bingo ! Quand on regarde les taux sur le marché monétaire y’a pas photo quoi ».

Moi, je vous répondrais ceci...

Moi, je vous répondrais ceci, parce que je suis horloger mais passionné avant tout, et que dans la passion on trouve une jolie dose de déraison, de l’inexplicable, de l’impalpable et de l’émotion. De l’essentiel en somme. Je vous dirais qu’au-delà des raisonnements matérialistes, l’Homme s’attache aux objets de son quotidien comme une sorte de rempart à la solitude. On créé avec les objets des liens souvent inexplicables, parfois lorsque ceux-ci sont liés à un événement, à un souvenir entre personnes, mais pas forcément. Parfois parce qu’on les a simplement en admiration dans toute la complexité qu’ils renferment et que l’on a du mal à comprendre. Une montre a cet autre nom très poétique de « garde-temps ». Cet objet, si l’on s’attarde un peu à l’observer, à l’écouter ou à le manipuler entre ses doigts pour en sentir les vibrations, cet objet a quelque chose d’assez exceptionnel et unique : il possède la mesure du temps dans son essence. Oui, on peut lire l’heure sur un téléphone portable, mais l’on n’en détient pas pour autant le temps qui passe. Il y a l’heure, et il y a le temps. Comme il y a valeur et prix, deux notions souvent amalgamées qui donnent une raison d’être à mon quotidien d’horloger : mettre en lumière toute la valeur d’une montre et les secrets qu’elle renferme, au-delà d’un prix, qui n’est pas le seul reflet de sa valeur intrinsèque mais un « simple » indicateur de valeur marchande.

Au final, ma réponse à la question initiale fera peut-être sourire beaucoup d’analystes persuadés que l’unique vérité doit se lire dans les chiffres. Parce qu’ici, je me concentre sur le lien transcendantal que l’Homme noue avec le temps qui passe et ce depuis l’antiquité. La notion de temps, cette variable qui donne la mesure de notre existence, est une obsession qui caractériserait presque l’Homme. Il m’est donc avis que pour rendre désirable un objet qui possède en lui-même l’essence de l’humanité, il faut simplement être vrai, aller à l’essentiel, faire tomber les faux-semblants, être dans l’émotion, la sincérité, le ressenti sans maquillage. Offrir ce que l’horlogerie a de plus beau à offrir : de la poésie et du rêve. L’horlogerie a cette force et cette chance, et selon moi, sortir de cette dimension, c’est retomber dans le commun des biens de consommation.

Un peu de poésie

Parce que l’horloger et le poète sont des artisans et que l’un travaille ses pivots comme l’autre ses mots, je vous partage un sonnet, reflet d’une passion naissante pour la poésie. Je ne lui donne pas de titre aujourd’hui, je laisse au temps le soin de me le suggérer en temps voulu.


Un jour l’horloger au poète a demandé :

« Peux-tu me dire ce qui nous différencie ?

Car tous deux semblons aimer l’oniromancie

Dont la substance va jusqu’à nous transcender ».


L’écrivain rêveur se mit alors à scander

« Mais rien mon Cher car le rêve nous licencie

Le pouvoir d’offrir aux mots la diathermansie

Pour traverser les chairs et le cœur amender ».


De la divination des songes et des astres

Ces artisans de l’émotion sont les pilastres

D’un art commun fait de travail et de passion ;


Car ils œuvrent pour autrui de toute leur âme

Jouant de métrique avec force précision

Pour que l’heure ou le poème soit une flamme.


Partageons ensemble autour de cette réflexion

Je suis très curieux d’avoir votre avis sur la question et j’aurai beaucoup de plaisir à lire vos réactions à ce sujet.

Merci d’avance pour vos réactions et leur partage, et comme toujours : merci de m’avoir lu.

Romain

Auteur du blog "Elégance & Précision", Horloger sartorialiste et calcéophile, je partagerai avec vous tout ce que je trouverai sur les sujets qui nous intéressent : l'élégance masculine.

Un commentaire

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    LOIC HENRI ESQ

    Le temps est un allié. Jamais un ennemi. La montre, quelle soit de poignet ou à gousset, devient des lors le pont qui nous relie au temps. Il faut certainement un minimum de culture pour apprécier complications et autres dialectique horlogère mais je crois que l’émotion ressentie est essentielle car comment expliquer qu’un enfant de dix ans ait ressentie une sensation inexpliquée face au chrono porté par son grand oncle, seul homme de la famille ? Oui le rêve le désir l’émotion sont des éléments à part entière de l’amour de l’horlogerie. A 61 ans c’est ce que j’éprouve devant ma Tank de Cartier que je porte depuis 35 ans…Merci à vous pour ce lieux que vous nous offrez. Maître Loïc HENRI

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