cravate prince albert et goutte
Les accessoires

La cravate n’aura plus de secret pour vous

Elégance et Précision faisant son grand retour, il me semblait à propos d’écrire un article sur mon accessoire préféré afin qu’il n’ait plus de secret pour vous : la cravate ; et d’aborder le sujet avec un œil d’horloger, chirurgical, à travers son anatomie.

Après une petite rétrospective historique, nous chercherons à comprendre la construction ou les constructions d’une cravate, pour parler ensuite de finitions, de détails, et finir sur les façons de la porter ou plutôt, de la nouer. Le tout agrémenté de quelques anecdotes, et je pense que cet article vous sera d’une lecture réjouissante et rafraichissante.

Petit retour en arrière sur les origines de la cravate

On va tenter de ne pas s’appesantir sur le sujet, mais simplement d’apporter un regard bref sur son histoire pour comprendre que malgré la connotation « classique » ou « intemporelle » du costume-cravate, il est tout de même affaire de mode (petit lien vers mon premier article sur la cravate ici si l’envie vous prend!).

Des racines croates

On parle de cravate pour désigner une bande de tissu, accessoire ô combien vivant à notre cou, qui, au fil des années, a vu sa forme et ses appellations évoluer. Ce mot est en effet un dérivé du mot « croate » qui s’est transformé en « krawatte », puis « cravate ». Comme évoqué une ligne plus haut, si son appellation s’est transformée, sa forme a également évolué dans le temps. Car si l’on fait référence à l’origine croate de la cravate, il s’agissait surtout d’une bande de tissu noué au cou de hussards dont la forme est relativement éloignée de nos cravates modernes.

Garde d'honneur du régiment de la cravate - Source : Elvisa.fr

Ah oui, j’oubliais de vous dire ! Au 17ème siècle, les troupes de Louis XIII comptent dans leurs rangs un régiment de hussards croates, et ce sont ces derniers qui portent fièrement un tissu autour du cou. Tissu qui nous ferait plutôt penser, au premier abord, à un port de foulard, ou à une écharpe pour protéger son cou du froid. Comme de nombreux éléments du vestiaire masculin, cet accessoire porte des origines militaires, et il sera détourné pour gagner la Cour de France comme accessoire de mode. À cette époque, la France dicte littéralement les codes esthétiques, ce qui fait qu’une mode qui né en France ne tarde jamais à se répandre dans le monde.

Un accessoire définit par sa façon d'être utilisé

Alors pourquoi parler de cravate si cet accessoire ancestral n’a pas vraiment à voir avec notre cravate contemporaine ? Parce que même si l’on voit les différentes évolutions de cet accessoire à travers les âges, on notera tout de même une similitude dans la façon de nouer cette bande de tissu. Finalement, la cravate ne serait-elle pas définie par son nœud ? Oui, si l’on devait suivre les observations d’Emile Marco de Saint Hilaire (1827) lorsqu’il publie « L’art de mettre sa cravate de toutes les manières connues et usitées », et qu’il répertorie pas moins de 32 façons de nouer sa cravate, qu’il nommera différemment à chaque fois.

L'art de mettre sa cravate de toutes les manières connues et usités
les noms de cravates
L'art de mettre sa cravate de toutes les manières connues et usitées - Source : Hastparis.com

Quoi qu’il en soit, la cravate a évolué, et on peut considérer que la version que nous portons aujourd’hui tire son origine la plus proche d’un brevet déposé en avril 1922 par un cravatier New-Yorkais, Jesse E. Langsdorf. Ce dernier apporte surtout des améliorations à l’accessoire communément porté sous le nom de « four-in-hand » qui désigne aujourd’hui une façon de nouer sa cravate. Un des aspects d’amélioration réside notamment dans l’orientation de la découpe de tissu. Finalement, si on part à la chasse aux brevets, on se rend compte qu’il en existe plusieurs tout au long du siècle dernier, chacun visant à espérer protéger un aspect nouveau de sa construction.

Brevet cravate Langsdorf 1922 1923

Ce dernier aspect est néanmoins la transition idéale vers l’anatomie à proprement parler de la cravate, puisque ces brevets visent généralement à décrire au plus précis la façon dont elle est façonnée.

L'anatomie de la cravate

Si l’on prend le temps d’observer non pas forcément les patrons d’une cravate, bien qu’ils révèlent assez clairement la construction, ce que l’on retient finalement, c’est que la cravate possède un tissu principal (l’enveloppe), qui est replié sur lui-même pour donner la forme à notre cravate, à l’intérieur de laquelle on trouvera une triplure (généralement une toile en laine ou en coton) qui apportera la tenue souhaitée. Une doublure légère dans un tissu différent ou dans le même tissu, permettra en quelque sortes de « fermer » la cravate. Ici, on parle d’une construction classique telle que l’on trouvera dans la majorité des cas.

Évidemment, chaque pan et morceau de tissu est cousu aux autres pour former la cravate finale. La couture arrière du grand pan (point d’arrêt et point lâche) forme généralement une boucle, et dans les constructions de qualité on laissera un peu de marge à ce fil de couture de sortes que le serrage et desserrage de la cravate ne fasse pas « craquer » la couture.

Anatomie cravate
Source : Trendhim.be
  1. Le grand pan – La section principale de la cravate.
  2. La doublure – Le tissu cousu sur la face arrière de la pointe.
  3. Point d’arrêt – Point de couture (résistant) servant à maintenir les 2 côtés ensemble et permettant à la cravate de ne pas se déformer.
  4. Étiquette – Elle peut porter le nom de la marque ou du designer.
  5. Passe-pan – Sert à faire passer le petit pan, je déconseille son utilisation pour laisser vivre la cravate.
  6. Tour de cou – La section centrale de la cravate.
  7. L’enveloppe – Le tissu extérieur de la cravate.
  8. Couture – L’endroit où les différents pans de tissu ont été cousus ensemble. Sur le pan avant, la pointe devra impérativement avoir été découpée selon un angle de 45 degrés (par rapport au bord du tissu dans lequel elle a été découpée) afin d’éviter que la cravate ne vrille lorsqu’elle sera portée

9. Garnissage / Triplure – La doublure intérieure donnant sa forme à la cravate et lui permettant de ne pas se froisser. Une cravate de qualité utilisera la laine pour sa douceur, sa durabilité et sa capacité à ne pas se froisser.

10. Petit pan – La section étroite de la cravate.

11. Point lâche – Une couture non visible qui maintient les 2 extrémités ensemble.

12. Étiquette d’origine – Elle peut inclure des informations comme le pays d’origine de la cravate et des instructions spéciales concernant son nettoyage, sa composition, etc.

La cravate non doublée

On dira donc d’une cravate « classique » qu’elle est doublée. Cela laisse sous-entendre évidemment qu’il existe des cravates non-doublées. La doublure étant surtout utile pour cacher la triplure, et être un élément de finition à la découpe de l’enveloppe, se priver de doublure implique de terminer la triplure autrement (en la raccourcissant par exemple ou en la découpant de telle sortes qu’elle suive les plis de la cravate), et de finir les bords de notre enveloppe par une finition dite « roulotée ».

Cravates non doublées, roulotées à la main - Source : Fumagalli 1891
Une cravate sans triplure

Une cravate classique sera repliée normalement 3 fois. Il existe des versions où l’enveloppe est plus grande (entendre plus large), impliquant de replier 5, 7, 9 voir 12 fois la cravate pour arriver à la largeur souhaiter. Cet excédent de tissu implique généralement de se passer de triplure dans le corps de la cravate et de ne restreinte sa seule présence qu’à l’encolure, sous peine de causer une surépaisseur.

Dans certains cas même : aucune triplure.

cravate non doublee
Cravate en grenadine de soie, non doublée et sans triplure - Source : Emanuel Berg

Comment ces variantes à plusieurs plis sont-elles apparues ? L’explication la plus raisonnable viendrait d’une période pendant laquelle le secteur fit face à une pénurie de triplures et l’on chercha une alternative en étendant l’enveloppe pour palier l’absence de triplure afin de maintenir la bonne tenue à la cravate. Aujourd’hui, ces excédents de matière génèrent surtout une hausse du prix de la cravate.

cravate 3 ou 7 plis
Schémas de pliage pour cravates à 3 et 7 plis - Source : Scavini
L'âme de la cravate

En Italie (pays de la Sprezzatura), on appelle la triplure « l’anima », littéralement « l’âme ». Et pourtant, c’est bien le style italien du mouvement et de la fluidité qui prône les cravates non-doublées à multiples plis sans triplure (donc « sans âme »). Je vous propose de dire que c’est souvent dans les plus étranges paradoxes que se trouve le Beau.

l'âme de la cravate
Echantillon de triplures - Source : artlining.it
Les matières communément utilisées

Le tissu le plus communément utilisé aujourd’hui est la soie. On apprécie la soie pour sa fluidité, sa douceur et son prestige. Il existe néanmoins différentes qualités de soies, mais aussi différentes finitions en fonction de leur provenance, de leur traitement ou de leur tissage. On distinguera ainsi les twills de soie des satins de soie, des soies sauvages aux soies maillées. Côté maille, on distinguera aussi les mailles classiques aux grenadines de soie dont la texture apporte beaucoup de relief à une tenue.

cravate en soie
De gauche à droite : twill de soie, soie jacquard, grenadine de soie - Source : Emanuel Berg

Alternative intéressante, la laine, qui permet d’envisager tous types de tissus communément utilisés avec cette matière : Tweed, flanelle, fil à fil, solaro, cachemire, … Idem pour les cravates en coton qui vont miser sur des twills, du seersucker et toutes les autres variantes possibles et imaginables. On trouvera d’autres matières naturelles du vestiaire masculine, telles que le lin, et finalement, tout type de matière que l’imagination peut offrir (comme le polyester malheureusement).

cravate laine et lin
De gauche à droite : mélange soie et lin, 100% laine, 100% lin - Source : Emanuel Berg

Les noeuds de cravate

On entre dans le vif du sujet, souvent considéré comme « LE » sujet lorsque l’on parle de cravate. Néanmoins il me semble que pour faire un bon nœud de cravate, il faut comprendre la cravate. « Pour bien porter la cravate, deviens la cravate… » Ok, je vais trop loin.

Dans cette partie, je ne vais pas parcourir l’intégralité des nœuds de cravate, je vais en partager 5 avec vous, et on va s’arrêter là. En connaitre plus est inutile selon moi (oui, c’est un vrai parti pris d’écrire ça, mais franchement, les nœuds bizarres ou exotiques n’ont que peu d’intérêt à mes yeux et vont plus gâcher la cravate qu’autre chose…).

1. Le four-in-hand

On va commencer par le plus célèbre et celui mentionné plus haut, le fameux « four-in-hand ». Il a pour lui l’historique, et l’asymétrie du nœud qui permet d’atteindre ce « je ne sais quoi » de nonchalance qu’on aime assez.

noeud de cravate
2. Le Prince Albert (ou double four-in-hand)

Le second nœud est mon préféré, celui que je fais tous les matins. Il possède selon moi les avantages de tous les nœuds de cravates, à savoir une belle taille, du relief et de l’asymétrie. Alors forcément, je vais vous présenter les autres nœuds sans aucun enthousiasme. Subjectif moi ? Oui.

noeud cravate
3. Le Windsor

On reste dans une appellation royale avec le nœud Windsor, aussi connu sous le nom de « nœud samoussa ». Je vous avais prévenu, je vais faire preuve de subjectivité et de mauvaise foi. Bon, le nœud Windsor (que les gourmands feront même en double-Windsor pour le Samoussa XXL) a cet « avantage » d’être énorme. Il est parfaitement symétrique et permet de balancer l’égo de son porteur. Voilà voilà…

noeud cravate
4. Le demi-Windsor

Pour ceux qui ont compris que les samoussa c’est une entrée et qu’il ne faut pas trop forcer dessus, le demi-Windsor permet d’avoir un nœud symétrique mais pas trop sans avoir un triangle des Bermudes au cou. Je force le trait à dessein, mais vous aurez compris l’idée, je ne suis pas fan des gros nœuds.

5. Le Pratt Shelby

Une alternative au demi-Windsor en termes de taille, mais qui restera symétrique. C’est un peu le nœud classique qu’on fait quand on commence son premier job de stagiaire dans la banque (true story), et qu’on abandonnera plus tard quand on devient un homme.

Petites précisions concernant le nœud de cravate

Il me semble important, à ce stade de la lecture, d’assumer ma ligne éditoriale. Comme je le dis souvent, je ne suis pas un inquisiteur, et je ne serai jamais celui qui ira dire à quelqu’un « ta cravate est trop courte/longue » ou « tu devrais faire un nœud comme-ci/comme ça ». Les personnes qui ne savent pas nouer leur cravate ou simplement qui s’en fichent, je n’ai aucune raison d’aller les embêter avec mes névroses.

En revanche, si vous êtes là à lire mes mots, c’est que le sujet vous intéresse, et dans ce cas, j’écrirai pour vous ouvertement ce qui me semble ne pas être acceptable lorsqu’on est à la recherche d’élégance, avec précision de surcroît.

Si je peux me permettre...

Le premier impératif est qu’un nœud de cravate doit être bien serré. Il n’est pas question de s’étrangler, car une cravate bien nouée permettra de serrer le nœud convenablement sans étouffer. On ne laisse pas de « gap » entre son nœud et son col de chemise, sauf à être au bar après le travail, une bière à la main. L’avantage d’un nœud bien serré, outre le fait de ne pas passer pour quelqu’un de négligé, apportera un atout esthétique de taille : il décollera la partie inférieure du nœud de la chemise, créant une sorte d’arc boutant qui donnera du volume et mettra la cravate en avant. C’est juste « Beau ».

cravate serrée desserrée
cravate goutte

Le second impératif est de créer ce qu’on appelle une goutte ou deux (parfois trois). La goutte, c’est le creux ou le pli qui se crée lorsque l’on serre son nœud de cravate. Au premier abord, on pourrait penser à une imperfection, mais il s’agit au contraire d’un élément plus technique qu’il n’y parait, et dans lequel recèle l’expression la plus profonde de la fausse nonchalance, c’est-à-dire du détail qui parait naturel et spontané, alors qu’il a impliqué une manipulation bien étudiée.

En somme, la goutte va donner du bouffant, du volume, du relief à la cravate. Elle va casser la symétrie parfois imposée par certains nœuds (Windsor par exemple). Elle va donner du caractère à votre nœud de cravate !

goutte cravate
C'est-y-pas merveilleux ça? - Source : Hespokestyle.com

D’ailleurs, en parlant de gouttes, saviez-vous qu’il existe une signification au nombre de gouttes que l’on peut trouver sur une cravate ?

De façon très simple : pas de goutte envoi un message d’ignorance ou de peu de raffinement. Une goutte sera un symbole d’élégance et connotera une certaine connaissance ou intérêt pour l’art tailleur. La double goutte est plus rare et sera signe d’une certaine expertise dans l’art de nouer sa cravate. Cela pourra se traduire par un style plus sophistiqué, pouvant connoter une excentricité assumée ou un raffinement extrême.

On trouvera d’autres significations plus proches de la « private joke » que du code de l’élégance, telles que « je suis en couple » ou « je suis totalement ouvert à des propositions indécentes ». Je ne mentionnerai pas quel type va avec quelle signification car il s’agit là d’un manque total d’élégance d’afficher ainsi son envie de s’accoupler ou non.

double goutte cravate
Source : ivy-style.com

Parlons dimensions

Sujet Ô combien polémique, encore une fois, je ne me permettrai jamais de dire à quelqu’un que sa cravate est trop longue ou trop courte, malgré mes connaissances de l’objet, en toute humilité. Et pourtant, si vous saviez le nombre de personnes qui se permettent de commenter mes cravates, comme s’il s’agissait d’une fierté de venir « reprendre » Romain ! Brandir fièrement l’étendard de celui qui veut écraser le passionné pour dire fièrement « j’en sais plus ». Alors que dans les faits…

Le dessin ci-contre de Romée (@croquissartoriaux sur Instagram) est juste un de mes préférés qui illustre totalement la situation.

Quoi qu’il en soit, la longueur de cravate est un sujet délicat puisque déjà : nous avons tous des tailles de pantalon différentes. Mis à part les personnes qui commandent leurs cravates chez des faiseurs et peuvent choisir des longueurs différentes, la plupart du temps les longueurs sont standards allant de 147cm pour les plus courtes à 157cm pour les plus longues (à peu de choses près).

Croquis sartoriaux la cravate
La règle que je m'impose

Voici donc la règle que je m’impose quant à la longueur de la cravate : suivant les recommandations de Michael Drake, fondateur de la célèbre marque Drake’s (si vous ne connaissez pas, c’est que vous n’avez pas encore franchi le seuil psychologique de dépenser plus de 150€ pour une cravate, mais je vous rassure, ce n’est absolument pas grave), selon lequel « dans le meilleur des mondes, […] les deux pans devraient être parfaitement de la même longueur. Et si cela n’est pas réalisable, alors il est nettement préférable que le petit pan soit légèrement plus long que le pan de devant ». Personnellement, je m’applique simplement à ne jamais avoir le grand pan plus long que le petit pan. Et ce sera mon ultime conseil de ce côté-là. 

Pour la largeur...

Si l’on poursuit sur les dimensions, il m’est avis qu’une cravate dont la partie large est inférieure à 8cm ne permet pas de faire un nœud convenable. À partir de 8,5cm, je trouve ça plus agréable, et l’on dispose de suffisamment de tissu au niveau de la partie à nouer pour faire de belles gouttes. Absolument pas fan des cravates « slim » qui ne sont, à mes yeux, qu’une hérésie, transformant un accessoire fantastique en bien de consommation « mass-market » pour lequel on aurait récupéré des chutes de tissus pour en faire des « cravates ».

Encore une fois, j’ai un avis bien tranché sur la question, mais il me semble qu’ici soit le bon endroit pour l’exprimer et le revendiquer.

Le mot de la fin

Je vous propose d’arrêter ici cet article sur la cravate, suggérant de garder les nombreux sujets connexes pour un prochain article, tels que les types de motifs, des techniques d’impression ou de tissage et leurs connotations respectives.

N’hésitez pas à commenter cet article en me laissant un message ci-dessous ou en me contactant directement, j’aurai plaisir à échanger sur le sujet !

Merci de m’avoir lu.

Romain

Auteur du blog "Elégance & Précision", Horloger sartorialiste et calcéophile, je partagerai avec vous tout ce que je trouverai sur les sujets qui nous intéressent : l'élégance masculine.

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